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bien qu’il eût assisté, dans le cours de ses voyages sur le continent, à des bals autrement splendides que ceux de la vieille salle d’auberge où les magnats du comté se réunissaient pour danser à frais communs, il ne put se défendre d’une émotion dont il se moquait lui-même quand il dut affronter l’entrée de ce sanctuaire, à la porte duquel une foule d’absurdes préjugés faisaient bonne garde. Comment y serait reçu le fils de l’attorney Wilkins ? Quelle figure y ferait-il en présence du lord-lieutenant et d’une belle duchesse que, disait-on, ce représentant de la royauté devait y conduire ? On les attendit longtemps, on désespérait de les voir paraître, quand le frou-frou d’une robe de damas annonça l’arrivée de l’imposante dame et de sa nombreuse escorte. L’orchestre aussitôt s’arrêta, les danses furent suspendues ; un quadrille s’organisa sur nouveaux frais, où le respect dû à la duchesse ne permettait d’admettre que les gens de son entourage. Mais il se trouva que pour cette contredanse française (mode alors nouvelle) les figurants du sexe laid n’étaient pas en nombre suffisant. Il fallut convoquer l’arrière-ban, et le jeune Wilkins, qui dansait à merveille, fut requis l’un des premiers. La duchesse, remarquant sa bonne grâce, n’hésita pas à le désigner pour partner de la charmante lady Sophie, sa fille aînée, sans songer à s’informer de son origine plus ou moins plébéienne. À partir de ce moment, Edward se vit en grande faveur parmi les ladies de Hamley. Les mamans aussi le voyaient d’un bon œil, mais certains hobereaux n’en continuaient pas moins à se formaliser de ce qu’un intrus pareil était admis dans des réunions de gens comme il faut, et leurs fils, qu’Edward avait plus ou moins distancés à Éton, tant par le chiffre de ses dépenses que par celui de ses succès classiques, ne manquaient aucune occasion de le traiter, comme on dit, « par-dessus l’épaule », en lui