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il prit la main avec un mouvement affectueux qui ne laissait place à aucune crainte.

« J’ai, lui dit-il, des reproches à me faire. Un mouvement de colère, cette après-midi, m’a poussé à renvoyer Timothy Cooper. Il a tué le pommier Ribstone, à l’angle du verger, en entassant au pied de ce malheureux arbre le mortier préparé pour les nouveaux murs de l’étable… Tué raide, l’imbécile…, un arbre tout chargé de fruits !

— Et d’une espèce si rare ! ajouta la tante avec un regret sympathique.

— Que voulez-vous ? cet homme est presque idiot, mais il a femme et enfants. Aussi m’étais-je bien promis de le garder et d’offrir au Seigneur tout le mauvais sang que ce misérable paresseux me ferait faire. Eh bien non, ma patience s’est trouvée en défaut ! Le voilà remercié, n’en parlons plus. »

Là-dessus, il prit la main de sa femme et y posa doucement ses lèvres.

Je ne sais, pourquoi ce court dialogue avait enlevé à Phillis le courage emprunté dont elle venait de faire montre. Elle regardait par la fenêtre la lune qui montait dans le ciel, et je crus m’apercevoir que ses yeux étaient pleins de larmes. En revanche, elle fut sur pied aussitôt que sa mère, souffrante et à bout de force, proposa de s’aller coucher immédiatement après la prière du soir.

Nous prîmes tous congé du ministre, qui, gardant devant lui sa grande Bible ouverte sur la table, nous rendait nos adieux sans y faire, je crois, la moindre attention. Cependant, comme j’allais, le dernier de tous, quitter la salle commune :

« Paul, me dit-il, vous m’obligerez en restant quelques minutes de plus. J’ai à vous parler. »