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Chemin faisant, l’écho m’apporta par fragments le psaume du soir, et, comme je traversais le champ des frênes, j’aperçus le ministre en conférence avec un homme de la campagne ; la distance m’empêchait de reconnaître ce dernier. Je vis seulement qu’il parlait avec une certaine chaleur, et que le ministre lui répondait par un geste de refus énergique.

Pendant le repas, il se montra peu disposé à parler, abattu, peut-être même un peu irritable. Ma pauvre tante ne comprenait rien à cette manière d’être si extraordinaire chez son mari, et, souffrant d’ailleurs elle-même de l’excessive chaleur, ouvrit à peine la bouche. Phillis, en général si préoccupée de ses parents, n’avait pas l’air de prendre garde à ces fâcheux symptômes, et m’entretenait des sujets les plus indifférents ; mais, ayant à me baisser pour ramasser je ne sais quel ustensile, je vis sous la table ses mains prises l’une dans l’autre et si convulsivement tordues, si fortement étreintes, que sous la pression des doigts la chair avait en quelque sorte blanchi.

Que faire, cependant ? Lui parler, puisqu’elle semblait m’y convier, et m’étonner que les autres ne vissent point, ainsi que je les voyais moi-même, le cercle brun qui entourait ses yeux gris, le contraste de ses lèvres blêmes et de son teint plaqué de rouge !

Peut-être, au fait, n’étaient-ils pas si aveugles que je le supposais. D’après ce qui allait se passer, je dois croire que le ministre du moins avait l’œil ouvert.

« Qu’avez-vous, ministre ? lui demanda sa femme, qui, s’approchant de lui, venait de poser une main sur sa large épaule. D’où vous vient cet air soucieux ? »

Il tressaillit, comme réveillé en sursaut. Phillis baissa la tête et n’osait plus respirer, effrayée de la réponse que nous allions entendre ; mais, après nous avoir regardés l’un et l’autre, le ministre se tourna vers sa femme, dont