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agitation : elle changeait de couleur à chaque instant et sans cause appréciable.

Le ministre, qui fort heureusement ne se doutait encore de rien, avait transporté ses chers classiques dans la salle commune et lisait à haute voix, — pour Phillis ou pour moi, je ne sais trop, quelques passages des Géorgiques, en s’extasiant sur l’exactitude technique des conseils que Virgile donnait aux laboureurs du temps d’Auguste.

« Tout cela est vrai, tout cela est vivant, aujourd’hui comme alors, » s’écriait-il, scandant les vers et battant la mesure sur son genou.

Cette espèce de chant rhythmé porta sans doute sur les nerfs de Phillis, qui cousait près de nous, et, son fil se nouant à chaque minute, le cassait avec impatience.

« Votre fil est probablement mauvais, » lui dit sa mère étonnée de ces fréquentes interruptions.

Cette remarque si simple et faite du ton le plus doux parut exaspérer l’enfant.

« Oui, dit-elle, le fil est mauvais,… tout est mauvais… J’ai de tout cela par-dessus la tête. » Après quoi, posant son ouvrage, elle sortit précipitamment.

Je sais bien des familles où pareil incident passerait, inaperçu ; mais dans cet intérieur si calme, si bien réglé, un tel accès d’humeur, le premier que Phillis se fût jamais permis, produisit l’effet d’un coup de tonnerre.

Le ministre posa son livre et releva ses lunettes sur son front. Mistress Holman, après un premier mouvement de surprise affligée, rasséréna sa physionomie et par manière d’excuse :

« Je crois, dit-elle, que c’est l’effet du mauvais temps… Chacun le ressent à sa manière… Moi, vous savez, ce sont des migraines. » Puis elle se leva pour suivre sa fille ; mais à mi-chemin de la porte, se ravisant tout à coup, elle vint se rasseoir.