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Maintenant elle devait avoir fini. Pourquoi ne bougeait-elle pas ? pourquoi ne prononçait-elle pas un mot ? pourquoi du moins ne laissait-elle pas échapper un soupir ? — Les minutes se succédaient plus lentes, plus intolérables que je ne saurais dire.

Enfin je me décidai à jeter les yeux sur elle. Sans doute elle devina ce regard, puisqu’elle se retourna par un mouvement vif et soudain, de manière à me faire face.

« Paul, me dit-elle, ne vous attristez pas ainsi, je vous en supplie… Vous me faites mal. Dans tout ceci, j’imagine, il n’y a rien de si pénible. Du moins vous n’avez rien à vous reprocher… Lui-même, pourquoi donc ne se serait-il pas marié, je vous le demande ?… J’espère, oh ! oui, j’espère bien qu’il sera heureux… »

Ces derniers mots furent prononcés avec l’accent d’une véritable plainte ; mais elle changea de ton sur-le-champ, car elle ne voulait pas s’attendrir.

« Lucile, reprit-elle, c’est, je suppose, l’équivalent de notre Lucy ? Lucile Holdsworth, ces deux noms vont très-bien ensemble, et j’espère… j’espère… mais que voulais-je donc vous dire, mon cher Paul ?… Ah, voici, je me le rappelle à présent. C’est que jamais, — jamais, entendez-vous ? — il ne faudra reparler de ces choses. Souvenez-vous seulement que vous n’avez aucun motif de vous affliger. Vous avez été pour moi la bonté même, et si je vous voyais trop malheureux, je ne sais, je ne sais pas comment je ferais pour tenir bon… »

L’émotion commençait à la dominer, et cet effort factice n’aurait pu se soutenir bien longtemps ; mais l’orage qui menaçait éclata. Le nuage sombre qui recelait la foudre semblait planer sur le toit même de la ferme. On entendit la voix effrayée de mistress Holman qui appelait Phillis à grands cris. Les faneurs rentrèrent en courant, trempés jusqu’aux os.