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déjà le tonnerre avait grondé plus d’une fois. Au bruit de ma marche, elle tourna la tête.

« Vous auriez dû aller aux foins, me dit-elle avec son accentuation un peu lente, indice de calme et de paix intérieure.

— En effet, car il va pleuvoir, lui répondis-je.

— L’orage s’annonce, reprit-elle… Ma pauvre mère est prise de la migraine et vient de se mettre au lit… Puisque vous voilà…

— Phillis, lui dis-je en lui coupant la parole, car j’avais à cœur d’en finir, je viens de faire une longue course pour réfléchir tout à mon aise sur une lettre arrivée ce matin,… une lettre du Canada… Je ne saurais vous dire à quel point elle m’afflige. »

Et tout en parlant je lui tendais cette lettre, qu’elle ne semblait pas vouloir prendre.

Son visage avait pâli, mais cette pâleur était plutôt un reflet de la mienne que le résultat d’une angoisse bien définie, d’une perception bien nette des paroles par moi prononcées. Il fallut s’expliquer plus clairement pour la décider à prendre connaissance de la fatale missive.

Elle comprit enfin, et au moment où je la déposais dans ses mains, se laissa tomber sur un siège, tout d’une pièce, par un brusque affaissement.

Ensuite elle étala les deux feuilles sur le dressoir, appuya sa tête sur ses mains, et, se détournant à demi, déroba son visage à mes regards.

Inutile précaution ! J’avais, moi aussi, détourné la tête, et mes yeux erraient sur cette cour où tout respirait l’abondance et la paix. De tous côtés un grand silence, régulièrement interrompu par le tic tac d’une horloge invisible, placée dans la vaste cage de l’escalier. J’entendais le papier mince frissonner entre les doigts de la lectrice, quand elle venait à tourner la page…