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AUTOUR DU SOFA.

nir ; mais je parie tout ce que l’on voudra qu’il échappe à la guillotine, sauve la jeune fille, la ramène ici, folle d’amour pour son protecteur, et qu’avant deux mois nous avons un mariage à Monkshaven. »

Milord répéta ces paroles tant et si bien qu’il finit par croire à l’infaillibilité de sa prédiction, et qu’un jour, ayant vu Clément plus pâle et plus désespéré que jamais, il fit demander à Mme de Courcy de vouloir bien lui accorder un instant d’entretien.

« Par ma foi, s’écria-t-il, je veux qu’elle sache mon opinion ; il ne sera pas dit que je verrai tranquillement son fils dépérir sous mes yeux ; c’est bien un trop brave et digne jeune homme. Ah ! qu’un Anglais serait parti depuis longtemps sans en demander la permission ! Mais en sa qualité de Français, le pauvre Clément est un véritable Énée avec toutes ses bagatelles filiales. »

Je vous dirai que milord s’était jadis engagé dans la marine contre la volonté de son père, et que la chose ayant bien tourné, par bonheur, il n’avait jamais eu la conscience de la faute qu’il avait faite, comme si, par exemple, à son retour, il eût appris la mort de ses parents.

Je voulais assister à la conférence ; mais il n’y eut pas moyen.

« Une femme peut triompher de l’obstination d’un homme, me répondit milord ; mais c’est le contraire qui a lieu quand il s’agit de faire céder une personne de votre sexe ; permettez-moi, je vous prie, d’être seul avec la marquise. »

Jamais il ne me raconta ce qui s’était passé dans cette entrevue ; mais il en revint d’un air plus grave qu’il n’y était allé. Mme de Courcy néanmoins consentait au départ de son fils, et autorisait milord à en informer Clément.

« C’est une vieille Cassandre, me dit lord Ludlow