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LADY LUDLOW.

naissances, peut-être moins bonnes qu’il ne l’aurait fallu ; mais il était si bienveillant qu’il aimait tout le monde, et si aimable qu’il était recherché de tous. Nous habitions le premier étage d’un grand hôtel de la rue de Lille, dont nos gens occupaient le rez-de-chaussée. La marquise de Courcy demeurait au-dessus de nous ; elle était veuve, et c’est à elle qu’appartenait la maison. J’ai entendu dire que les armes sont restées sur le plein-cintre de la porte cochère, telles qu’elles étaient avant la Révolution, bien que la famille soit complètement éteinte. Mme de Courcy avait un fils unique du nom de Clément, et qui était du même âge que mon Urian, dont vous pouvez voir le portrait dans la grande salle. »

Maître Urian avait péri en mer, et j’avais souvent regardé la toile qui représentait sa belle et bonne figure ; on l’y voyait en pied, dans son uniforme, désignant de la main droite un vaisseau qui s’apercevait au loin ; il semblait dire : « Regardez-le, ses voiles sont déployées et je vais bientôt partir. » Pauvre maître Urian ! il avait sombré avec ce même vaisseau, quelques mois après l’époque où le portrait avait été fait.

« Je vois encore ces deux enfants jouer ensemble, continua milady en rapprochant les paupières comme pour mieux jouir de la vision qu’elle avait évoquée ; je les vois toujours dans le vieux jardin à la française qui était derrière l’hôtel ; je les ai si souvent contemplés de ma fenêtre ! Cet endroit valait peut-être mieux, pour jouer, que nos jardins d’Angleterre ; on n’y trouvait ni massifs, ni pelouses, seulement quelques plates-bandes ; et au lieu de boulingrins et de bosquets, des terrasses avec des balustrades ornées de vases, de grands perrons dans le style italien, de petites fontaines, des jets d’eau qu’on faisait jouer en tournant des robinets cachés çà et là. Combien ce pauvre Clément avait de plaisir à tourner ces robinets