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AUTOUR DU SOFA.

que milady, et les personnes du comté qu’elle s’honorait de recevoir, qui entraient dans le château par la grande tour, on frappait continuellement à la porte de derrière, non pas pour se la faire ouvrir, puisqu’elle était ouverte en toute saison, au point que la neige s’amoncelait dans la salle, quand le vent soufflait de ce côté-là, mais pour qu’on vînt recevoir votre message ou qu’on sollicitât de votre part la permission de parler à milady. Je me rappelle que M. Gray fut longtemps à comprendre que la porte de la cour ne s’ouvrait que dans les grandes circonstances. C’est par l’entrée d’honneur qu’on était reçu la première fois qu’on mettait le pied dans le château ; mais ensuite, à l’exception des personnes d’un rang élevé, on devait faire le tour de la terrasse, et l’on s’y conformait généralement sans y penser. D’ailleurs, comme pour aider à l’instinct qui vous faisait prendre cette direction, la porte de la façade était gardée par deux représentants de cette race magnifique des limiers d’Hanbury, qui n’existe plus dans l’île, véritables bêtes féroces qui aboyaient nuit et jour et qui s’élançaient avec fureur de leur niche de pierre, toutes les fois qu’un individu ou qu’un objet venait frapper leurs regards, ne connaissant que le groom qui leur donnait à manger, la voiture à quatre chevaux et la personne de milady.

Rien n’était charmant comme de voir cette femme, petite et frêle, s’approcher de ces énormes bêtes qui rampaient au-devant d’elle en frappant les dalles de leur queue et bavaient d’extase sous les caresses que leur faisait sa petite main. Elle n’en avait jamais eu peur ; mais elle était l’héritière de la famille, et l’on racontait que ces chiens farouches avaient toujours su reconnaître les Hanbury, depuis l’époque où les premiers de la race avaient été ramenés des croisades par sir Urian, dont la statue gisait sur l’un des tombeaux qu’on voyait dans l’é-