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LADY LUDLOW.

posait pas qu’on pût venir au château sans être endimanché ; il est possible qu’elle n’eût rien dit si l’on se fût présenté en habits de tous les jours ; mais elle aurait tiré lentement ses lunettes, les aurait mises d’un air grave, et aurait fixé sur les trous et sur les taches du pauvre homme un regard si imposant, que le malheureux en aurait eu les nerfs ébranlés, et qu’il se fût bien promis de ne jamais reparaître dans l’antichambre de lady Ludlow, sans avoir employé d’abord le savon et l’aiguille de sa femme.

Après l’audience, il y avait toujours table mise à l’office, où les personnes qui avaient eu affaire à Sa Seigneurie trouvaient un bon accueil. « Je serais confuse, disait milady, si en sortant de chez moi ces braves gens allaient à l’auberge chercher le repos et la nourriture dont chacun a besoin. » La chère était copieuse et la bière abondante ; lorsque les plats étaient enlevés, on servait aux convives une grande coupe de bonne ale ; le plus ancien des fermiers se levait alors, buvait à la santé de madame, et la coupe une fois vidée, on retournait à sa ferme.

Pour tous les tenanciers, madame était l’héritière des Hanbury et non la veuve de lord Ludlow, que n’avaient pas connu leurs ancêtres et dont le souvenir excitait leur mécontentement. Jamais une parole ne trahissait l’aigreur qu’ils ressentaient contre le défunt ; mais ils ne lui pardonnaient pas d’avoir employé l’argent de leur maîtresse pour améliorer les tristes domaines qu’il possédait en Écosse. M. Horner, le régisseur, n’était pas moins contrarié que tous les autres de voir les revenus patrimoniaux d’Hanbury dévorés par cette fâcheuse hypothèque. Probablement il en avait dit à madame toute sa façon de penser, car il y avait chez celle-ci comme le ressentiment d’une offense, et chez l’homme d’affaires quelque chose de résigné où l’on démêlait une protestation silencieuse,