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LADY LUDLOW.

partiennent à une seule et même espèce. Il en résulte que les membres de ces anciennes familles ont des facultés d’un ordre plus élevé que celles des classes inférieures. N’oubliez pas, quand viendra l’automne, de chercher à sentir le parfum des fraisiers ; vous avez dans les veines un peu du sang des Hanbury, cela vous donne quelque chance de succès. »

Le mois d’octobre arriva ; mais j’eus beau respirer de toutes mes forces, renifler tant et plus, je ne m’aperçus pas du nouvel arôme que les fraisiers versaient dans l’air ; et milady, qui suivait l’expérience avec un certain intérêt, acquit la preuve que je n’étais qu’une hybride. J’en fus très-mortifiée, je l’avoue ; et je me dis en moi-même que c’était par ostentation que milady avait fait planter une bordure de fraisiers sur la partie de la terrasse qui s’étendait sous ses fenêtres.

Je vous raconte mes souvenirs tels qu’ils me viennent à l’esprit, et je ne sais plus où j’en suis de mon histoire. Nous en étions, si je ne me trompe, à ma première séance dans le cabinet de milady. J’arrivai graduellement à y passer toute la journée, travaillant à l’aiguille, arrangeant les fleurs dans les vases, ou triant des lettres que j’assortissais d’après l’écriture, de manière que Sa Seigneurie n’eût plus qu’à choisir celles qu’elle voulait conserver, et à détruire les autres, dans la prévision de sa mort, dont la pensée lui était toujours présente.

Avant cette époque, n’ayant jamais vu l’intérieur d’une grande dame, je m’imaginais que l’existence d’une comtesse se passait en plaisirs ; mais celle de lady Ludlow me parut fort laborieuse. Sa Seigneurie administrait elle-même ses domaines et revoyait tous les comptes, tous les papiers du régisseur. La terre d’Hanbury était hypothéquée pour une somme considérable qui avait servi à l’amélioration des terres que lord Ludlow possédait en