Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
62
AUTOUR DU SOFA.

pait le muguet dans la même réprobation : rien n’est plus gracieux, plus élégant, disait-elle avec franchise ; feuillage et fleurs, tout en est distingué, à l’exception du parfum, qui est trop fort.

Mais le don précieux qu’elle tenait de ses ancêtres, et qui faisait son orgueil, était la faculté de percevoir le délicieux arôme qui s’élève d’une planche de fraisiers, à l’époque de l’automne où les feuilles jaunissent et vont mourir. Si vous ouvriez par hasard les essais de Bacon, l’un des quelques volumes qui gisaient çà et là dans le cabinet de milady, vous tombiez infailliblement sur le chapitre où il est parlé des jardins. « Écoutez, me disait alors Sa Seigneurie, écoutez bien les paroles de ce grand philosophe, ou plutôt de cet homme d’État : « Immédiatement après, » — il s’agit des violettes, chère belle, — immédiatement après, nous plaçons la rose musquée, » — vous savez, chère enfant, qu’il en existe un énorme buisson, à l’angle du mur qui est au sud, à côté de la fenêtre du salon bleu ; c’est l’ancienne rose, celle de Shakspeare, qui disparaît chaque jour du royaume et qui, bientôt n’existera plus en Angleterre. — Mais revenons à lord Bacon : viennent ensuite les feuilles de fraisier, qui exhalent, en mourant, un parfum aromatique d’une exquise délicatesse. » — Je vous dirai que les Hanbury ont toujours eu la faculté de percevoir cet arôme délicieux et vivifiant. Il faut vous rappeler qu’à l’époque de lord Bacon, il n’y avait pas eu, entre la cour et la ville, tous ces mariages qui se sont contractés depuis le règne de Charles II, où le besoin d’argent fut la cause d’une foule de mésalliances. Au temps de la reine Élisabeth, les grandes familles d’Angleterre formaient une race distincte et présentaient, avec le reste de la population, la même différence que vous remarquez entre un cheval de trait, créature fort utile à sa place, et Childers ou Éclipse, bien qu’ils ap-