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LADY LUDLOW.

vrai dire un manque de tact impardonnable, si l’on considère à qui s’adressait notre jeune ecclésiastique.

« M. Gray, répliqua milady, nous ferons bien de changer de conversation ; c’est un sujet sur lequel nous ne serons jamais d’accord. »

Lady Ludlow avait proféré ces paroles d’une voix basse et lente qui, chez elle, était le signe infaillible d’une vive contrariété.

La figure de M. Gray passa du rouge au pourpre, et devint immédiatement d’une pâleur excessive. Tous les deux paraissaient avoir oublié notre présence, et ma compagne et moi, fort embarrassées de nous-mêmes, cherchions un moyen de leur rappeler que nous étions là, tout en désirant savoir comment se terminerait cette aventure dont l’issue nous intéressait vivement.

Le jeune ecclésiastique se redressa de toute sa hauteur avec un sentiment de dignité si profond, qu’en dépit de sa petite taille, de la gaucherie de ses manières et de l’embarras qu’il éprouvait quelques instants avant, il me parut tout aussi noble que milady elle-même.

« Votre Seigneurie, dit-il, voudra bien se rappeler qu’il est parfois de mon devoir d’entretenir mes paroissiens de textes divers, au sujet desquels je ne partage pas leur opinion, et que je ne suis pas libre de garder le silence par cela seul qu’ils ne sont pas d’accord avec moi. »

La surprise et peut-être l’indignation dilatèrent les grands yeux de lady Ludlow. Je ne crois pas que M. Gray eût fait preuve de sagesse en lui parlant ainsi ; lui-même, sans fléchir néanmoins devant l’orage qu’il avait provoqué, parut effrayé des conséquences de son audace, il y eut un instant de silence, après quoi milady reprenant la parole :

« M. Gray, dit-elle, je respecte votre franchise, bien que je me demande si un jeune homme de votre âge et