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LADY LUDLOW.

jambe. « Je ne peux pas lui raccommoder le tibia, c’est l’affaire du docteur ; quant à le soigner, sa femme s’en acquittera mieux que moi. Je ne pourrais que lui porter le secours de ma parole, et j’y perdrais mon éloquence ; ce serait de l’hébreu pour lui, sans compter le dérangement que lui occasionnerait ma visite : il se ferait asseoir dans une posture incommode, changerait de linge et d’habits et n’oserait pas se donner le soulagement de gronder sa femme, de crier et de jurer pendant tout le temps que je serais là. Est-ce que Votre Seigneurie n’entend pas le soupir de satisfaction que pousserait le malheureux une fois que j’aurais tourné le dos ? Où serait alors le bénéfice de mes discours ? D’autant plus que, suivant lui, j’aurais dû réserver cette exhortation pour son voisin, attendu qu’elle ne pouvait convenir qu’à un pécheur endurci. Je juge des autres par moi-même ; si j’étais malade, il me serait fort désagréable de recevoir lord Ludlow. Sans aucun doute, ce serait un grand honneur ; mais il faudrait changer de bonnet de nuit, simuler la patience, et prendre garde de fatiguer Sa Seigneurie de mes plaintes. Je lui aurais bien plus de gratitude si, au lieu de venir me voir, il pensait à m’envoyer un morceau de venaison, afin de m’aider à recouvrer la dose de santé qui est nécessaire pour jouir convenablement de la visite d’un gentilhomme. J’enverrai donc à John Butler un bon dîner jusqu’à ce qu’il soit guéri, et j’épargnerai à ce pauvre diable ma présence et mes conseils. »

Milady ne savait trop que penser des doctrines de M. Montford ; mais c’était son mari qui avait fait choix du révérend, et il était impossible de mettre en doute la sagesse du noble défunt. Elle savait d’ailleurs que John Butler recevait exactement les bons repas dont il avait été question, et qu’une ou deux guinées accompagnaient souvent le potage et le rosbif qu’on lui envoyait du presby-