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LES DEUX FRÈRES.

voilèrent, je fus pris de vertige et retombai sans mouvement.

Plusieurs semaines s’étaient écoulées depuis cette horrible nuit, lorsque je repris entièrement connaissance ; les cheveux de mon père avaient blanchi, et ses mains tremblaient comme celles d’un vieillard.

Je ne lui parlai pas de Grégoire ; il nous était impossible de proférer son nom ; mais son souvenir absorbait toutes nos pensées. Lassie allait et venait partout, prenait la meilleure place au coin du feu, sans qu’on songeât à l’en gronder ; mon père essaya même de la caresser ; mais elle se recula d’un air de méfiance ; et lui, acceptant ce reproche muet de la pauvre bête, soupira douloureusement.

Tante Fanny, toujours expansive, me raconta que le soir fatal où je m’étais engagé dans les landes, mon père, aigri sans doute par la prolongation de mon absence, et plus tourmenté qu’il ne voulait le paraître, s’était montré plus dur que jamais à l’égard de Grégoire ; il lui avait reproché la pauvreté de son père, et sa propre stupidité, qui l’empêchait de se rendre utile ; car, en dépit des paroles du vieux berger, mon père le considérait toujours comme n’étant bon à rien.

À la fin, Grégoire avait sifflé sa chienne, qui était blottie sous la chaise de son maître, dans la crainte d’un coup de pied ou d’un coup de manche à balai, et tous les deux avaient quitté la salle. Mon père venait d’exprimer son inquiétude relativement à mon retour, et ma tante pensa bien, en voyant partir Grégoire, qu’il allait au-devant de moi. Trois heures après, tout le monde à la ferme était dans la plus vive anxiété à mon égard ; on voulait venir à ma rencontre, mais on ne savait pas où me chercher. Personne ne pensait à Grégoire et ne s’apercevait de son absence, quand Lassie arriva, ayant mon fou-