Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/334

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
330
AUTOUR DU SOFA.

son beau-fils ; il le considérait toujours comme la cause de la mort de sa femme, et je suis persuadé que bien loin de chercher à combattre l’éloignement que lui inspirait mon frère, il se faisait une obligation de l’entretenir. En outre le pauvre Grégoire, qui avait trois ans de plus que moi, était lourd, maussade et embarrassé ; il empêchait de réussir toutes les choses dont il voulait se mêler ; il ne se passait pas de jours qu’il ne s’attirât quelque rebuffade de la part des gens de la maison, domestiques ou laboureurs, qui attendaient à peine que mon père eût tourné le dos pour gronder et souvent pour injurier l’orphelin. J’avoue, à ma honte, que je me laissai entraîner par l’exemple et que je ne fus pas meilleur que les autres pour Grégoire, non que j’eusse la pensée de lui faire aucun mal, ou de le desservir en quoi que ce fût ; mais l’habitude que j’avais prise d’être considéré comme un être supérieur, me rendait insolent pour lui ; j’exigeais souvent plus qu’il ne voulait m’accorder, et dans la colère que m’inspirait sa résistance, je répétais les mots injurieux que les autres employaient à son égard, et dont je ne saisissais pas toujours la signification. Les comprenait-il mieux que moi ? Je n’en sais rien, mais j’en ai peur. Il devint triste et silencieux ; mon père le trouva maussade et boudeur, et ma tante pensa qu’il était stupide. C’était du reste l’opinion de tout le monde ; à force de l’entendre dire, il finit par le croire, et se montra épais et borné. Il restait assis dans un coin, sans prononcer un mot, jusqu’à ce que mon père, impatienté, lui ordonnât d’aller faire une chose ou l’autre ; encore fallait-il l’appeler trois ou quatre fois avant de se faire entendre. À l’école, on n’en tira pas davantage ; il n’avait pas de mémoire, ne savait jamais ses leçons, et paraissait insensible aux réprimandes ; si bien que le maître, fatigué de le gronder et de le battre, vint prier mon père