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AUTOUR DU SOFA.

d’amertume ; elle était sur le point d’accoucher, lorsque la fièvre scarlatine attaqua sa petite fille, qui mourut en quelques jours. Ce fut un coup de foudre pour ma mère. Tante Fanny m’a souvent raconté qu’elle ne versa pas une larme ; elle prit la main du pauvre ange dans la sienne, et regarda le petit visage pâle de la morte jusqu’au moment où il fallut faire les préparatifs des funérailles ; puis elle embrassa l’enfant une dernière fois, toujours sans pleurer, alla s’asseoir auprès de la fenêtre, et suivit du regard les quelques personnes vêtues de noir qui, marchant dans la neige, conduisaient la pauvre petite à sa dernière demeure.

Lorsque ma tante fut revenue de l’enterrement, elle trouva ma mère toujours à la même place et dans la même attitude. Cette espèce de torpeur dura jusqu’à la naissance de Grégoire, qui arriva quinze jours après. Aux premiers cris de son fils, les larmes jaillirent des yeux de la pauvre mère ; elle pleura nuit et jour et pendant si longtemps, qu’on se regardait autour d’elle avec inquiétude, et que ma tante, qui avait si vivement désiré ses pleurs, faisait maintenant tous ses efforts pour en arrêter le cours. Ma mère demanda qu’on la laissât tranquille, disant qu’elle était soulagée par ses larmes ; puis elle ne pensa plus qu’à Grégoire, et parut avoir oublié son mari et sa fille qui reposaient dans le cimetière de Brigham. C’était du moins l’opinion de ma tante ; mais comme elle parlait toujours, et que ma mère était silencieuse par nature, il est possible qu’elle se soit méprise sur les sentiments de sa sœur.

Tante Fanny, qui était l’aînée, traitait ma mère comme un enfant ; cela n’empêchait pas qu’elle ne fût sensible et généreuse, et beaucoup plus occupée des autres et de leur bien-être que de ses propres intérêts. Elle travaillait avec ma mère pour des lingers de Glasgow ; et