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LA DESTINÉE DES GRIFFITH.

sa lumière est précieuse ! Owen gravit de nouveau la falaise et reprit le chemin de Ty-Glas.

« Enfin ! vous voilà donc ! lui dit Ellis comme il entrait dans le cottage. Ce n’est pas un homme de ma condition qui laisserait sa femme pleurer seule auprès du corps de son enfant ; ce n’est pas nous qui laisserions notre père tuer sous nos yeux notre propre fils. Oh ! j’ai bien envié de vous reprendre ma fille.

— Ce n’est pas moi qui le lui ai dit, cria Nest en implorant son mari du regard ; il a tout deviné, c’est tout au plus si j’ai répondu à ses questions. »

Elle berçait l’enfant sur ses genoux, comme s’il n’eût été qu’endormi.

« Peu importe, répliqua Owen avec douceur ; il ne se fait que les actes et ne se dit que les paroles qui ont été prévus et décrétés. Il y a bientôt deux cents ans que j’étais destiné à l’œuvre que je viens d’accomplir ; les années m’attendaient ; lui-même n’ignorait pas le sort qui lui était réservé. »

Pritchard connaissait la légende, et croyait à la prophétie de Glendower ; mais il ne se figurait pas qu’elle dût se réaliser maintenant. Il comprit néanmoins aussitôt les paroles de son gendre, et bien qu’il supposât que le jeune squire, en tuant son père, avait agi de propos délibéré, il ne songeait pas à blâmer Owen d’avoir tiré vengeance de la mort de son fils, et puni le meurtrier du désespoir où cette mort avait plongé la pauvre Nest ; mais il savait qu’aux yeux de la loi, cette action, qui lui paraissait naturelle, passerait pour un bel et bon parricide et que les magistrats du pays, quelle que fût leur négligence à l’égard des crimes ordinaires, ne manquaient pas d’informer quand il s’agissait de la mort d’un homme aussi important que sir Griffith. Il fallait donc, pensait le pêcheur, leur dérober le coupable, au moins pendant quelque temps.