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LADY LUDLOW.

Charlotte. Elle était le dernier rejeton de cette vieille souche des Hanbury, si florissante du temps des Plantagenets, l’héritière de ce qui restait aujourd’hui du patrimoine de cette famille, dont les domaines s’étendaient autrefois dans quatre comtés différents, et c’était de son propre chef qu’elle possédait Hanbury-Court. Après son mariage elle avait habité, tour à tour, les différents manoirs de lord Ludlow ; elle y avait perdu tous ses enfants, à l’exception d’un seul, et ces tristes souvenirs devaient lui faire désirer d’autant plus de rentrer dans le château de ses ancêtres. J’imagine que les années de sa jeunesse avaient été l’époque la plus heureuse de sa vie, car la plupart de ses opinions, au moment où je l’ai connue, étaient celles qui prévalaient cinquante ans auparavant. Ainsi, lorsque j’arrivai chez elle, on commençait à se préoccuper de l’éducation du peuple ; M. Raikes avait établi ses écoles du dimanche, et certains ecclésiastiques demandaient qu’on y apprît non-seulement à lire, mais encore l’écriture et le calcul. Lady Ludlow n’acceptait rien de tout cela ; elle ne voulait pas même en entendre parler : c’était du nivellement, cela frisait la révolution. Une jeune personne devait-elle entrer à son service, milady la faisait venir dans sa chambre, examinait sa figure, ses habits, et l’interrogeait sur ses parents ; elle attachait à ce dernier point une importance capitale : une jeune fille, disait-elle, qui reste indifférente lorsqu’on lui témoigne de l’intérêt ou de la curiosité à l’égard de sa mère ou des marmots de la famille, ne fera jamais un bon serviteur. Puis elle regardait la manière dont la pauvre créature était chaussée, lui faisait réciter le credo, l’oraison dominicale et lui demandait enfin si elle savait écrire. La réponse était-elle affirmative, qu’en dépit de la satisfaction qu’elle avait exprimée jusqu’alors, la figure de lady Ludlow s’allongeait tout à coup ; c’était