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LA DESTINÉE DES GRIFFITH.

jour le dispensait d’un travail obligatoire, et la nécessité morale de se rendre utile aux autres n’était jamais apparue à sir Robert, qui avait trop du gentilhomme gallois pour soupçonner pareille chose. Il est possible que le jeune Griffith en eût l’idée, mais il était trop faible pour se résoudre à quitter un séjour où cependant il était abreuvé d’humiliations ; il y pensait néanmoins, lorsque différentes circonstances le retinrent à Bodowen.

On ne pouvait pas s’attendre à ce que la bonne harmonie se conservât longtemps, même en apparence, entre un jeune homme imprudent et une femme astucieuse, lorsqu’il s’agissait, non plus de se supporter pendant une courte visite, mais de vivre ensemble un temps indéfini. La paix fut bientôt rompue et les hostilités commencèrent ; elles ne se trahirent point par des altercations bruyantes, mais par un silence hautain du côté d’Owen, et de celui de sa belle-mère, par la poursuite dédaigneuse et non déguisée des projets qui avaient amené la rupture. Le fils était devenu complètement étranger dans la maison paternelle ; personne ne guettait son départ et n’attendait son retour, personne ne pensait à lui ; et cependant tous ses vœux, toutes ses actions étaient contrecarrés par son père, ayant à côté de lui sa femme, dont les lèvres silencieuses avaient un sourire de triomphe.

Il en résultait qu’Owen passait le moins de temps possible au manoir, et partait dès le point du jour. Quelquefois il pêchait au bord de la mer, ou chassait dans la montagne, mais le plus souvent il se couchait sur l’herbe et s’abandonnait à une rêverie maladive. Il s’imaginait que sa triste vie était un songe dont il se réveillerait avant peu, et qu’il se retrouverait, comme autrefois, l’unique objet de la tendresse de son père. Il se levait alors pour échapper au présent, qui lui semblait