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AUTOUR DU SOFA.

La lecture de ce billet fit tomber le jeune Griffith dans un de ces accès de rage dont nous avons parlé, et qui, cette fois, était d’autant plus violent, qu’on ne pouvait réagir contre le fait qui l’avait provoqué. Indépendamment de l’affront que recevait la mémoire de sa mère (c’est ainsi que les enfants ne manquent pas d’envisager le second mariage de leurs parents), Owen s’était considéré jusqu’alors, et il avait eu raison, comme occupant la première place dans le cœur et dans l’esprit de sir Griffith. Maintenant il se trouvait quelqu’un entre lui et son père ; on ne l’avait pas même consulté au sujet de ce mariage ; on lui avait dit la chose alors qu’elle était faite, on avait eu pour lui moins d’égards que pour un étranger.

Certes, on aurait dû l’instruire plus tôt d’un événement qui avait pour lui une si grave importance. Sir Griffith le comprenait bien, et c’est à l’embarras que lui causait cette faute, qu’il fallait attribuer la froideur apparente qui régnait dans sa lettre, froideur qui augmentait encore l’amertume des sentiments de son fils.

Owen, malgré toute sa fureur, ne put s’empêcher, en voyant sa belle-mère, de la trouver charmante, bien qu’elle eût déjà perdu la première fleur de la jeunesse ; car elle était veuve lorsqu’elle avait épousé Robert Griffith. Jamais le pauvre garçon n’avait rencontré de femme aussi séduisante dans les familles des quelques amateurs d’antiquités où son père l’avait conduit quelquefois. Tant de grâce dans les mouvements et de douceur dans la parole firent tomber l’irritation qu’il avait éprouvée d’abord ; mais, plus que jamais, il sentait qu’un nuage le séparait de sir Griffith ; il comprenait que celui-ci n’avait pas oublié la réponse qu’il avait faite au billet qui lui avait appris ce mariage, et que désormais il ne serait plus ni le confident, ni le compagnon de son père ; que le squire vivait maintenant pour sa nouvelle épouse, et