Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/264

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
260
AUTOUR DU SOFA.

der, et qui jurèrent de s’éloigner plus que jamais des maudits.

Un M. d’Abedos, curé de Lourbes en 1780 et frère du seigneur de la paroisse, un homme instruit, qui était plein de sens et de modération pour tout le reste, poussait la haine qu’il portait aux cagots jusqu’à les injurier de l’autel où il officiait. L’un de ces affreux damnés, suivant l’expression qu’il employait à leur égard, étant presque aveugle, avait trébuché dans la nef et touché malgré lui l’encensoir que portait M. le curé ; on le chassa immédiatement, et l’entrée de l’église lui fut à jamais interdite.

Personne ne pourrait dire comment le frère de cet abbé fanatique, le seigneur du village, s’éprit justement d’une cagote et finit par l’épouser ; mais, pour être inexplicable, le fait n’en est pas moins réel. M. le curé plaida aussitôt contre son frère, et acquit, en vertu d’un jugement en bonne forme, la possession de tous les biens du nouveau paria, car le seigneur de Lourbes s’était réduit par son mariage à la condition de cagot, et la loi qui bornait l’avoir de celui-ci à un porc et à vingt moutons était toujours en vigueur. Les neveux du curé d’Abedos sont encore aujourd’hui simples paysans, et cultivent pour les autres le domaine qui appartenait à leur grand-père.

Le préjugé contre ces mariages, entre cagots et gens de race pure, a survécu longtemps aux lois qui opprimaient les maudits, surtout en Bretagne, où il paraît avoir été plus prononcé qu’ailleurs. Une jeune Bretonne, il y a quelques années, avait pour amoureux deux jeunes gens réputés d’origine cagote ; elle fit examiner leur généalogie par un notaire, et accorda sa main à celui des deux qui avait le moins de sang cagot dans les veines.

En 1835, raconte Émile Souvestre, un boulanger d’Hennebont, ayant épousé une jeune fille dont les ancêtres avaient été cagots, perdit toutes ses pratiques.