Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
22
AUTOUR DU SOFA.

Milady était debout lorsque je fus introduite auprès d’elle ; je fis en entrant la révérence que ma mère m’avait apprise comme faisant partie d’une bonne éducation, et je m’approchai de Sa Seigneurie ; au lieu de me tendre la main, elle se leva sur la pointe de ses petits pieds, et m’embrassa sur les deux joues.

« Vous avez froid, dit-elle ; mais un peu de thé vous réchauffera ; nous allons en prendre ensemble. »

Elle agita une petite sonnette qui se trouvait sur la table ; une femme de chambre arriva, prit les ordres de sa maîtresse, et reparut quelques instants après avec deux petites tasses de porcelaine de Saxe remplies de thé, qui sans doute nous attendait, et quelques tartines de beurre d’une délicatesse désespérante ; j’en aurais mangé la totalité sans me rassasier le moins du monde, tant ce voyage au fond des ornières avait aiguisé mon appétit. La femme de chambre s’empara de mon manteau ; j’allai m’asseoir, tout effrayée du silence de cette femme, qui allait et venait sans qu’on entendît ses pas ; et, déconcertée par la voix douce, la parole nette et facile de milady, je laissai tomber ma petite cuiller dans ma soucoupe ; il en résulta un son aigu, tellement inconvenant, que j’en devins rouge jusqu’aux oreilles ; Sa Seigneurie leva les yeux, nos regards se rencontrèrent, elle comprit mon embarras.

« Vous avez les doigts glacés, dit-elle d’un air affable ; ôtez vos gants, chère petite (de bons gros gants, en peau de daim, que je n’avais pas osé défaire sans y être invitée). Les soirées sont très-froides, ajouta Sa Seigneurie, mais je vais vous réchauffer. » Elle prit mes grandes mains rouges dans les siennes, qui étaient mignonnes, blanches et douces, et couvertes de bagues éblouissantes ; puis, me regardant d’un air pensif : « Pauvre enfant ! reprit lady Ludlow, neuf orphelins dont vous êtes l’aînée ! J’aurais une fille qui serait précisément de votre âge ; il m’est impossible de me la