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AUTOUR DU SOFA.

À sa mort, le cagot était enterré dans un coin situé à l’extrémité septentrionale du cimetière ; et son héritage, lorsque par hasard il possédait quelque chose, était pris par la commune, à l’exception toutefois de ses meubles et de ses vêtements, que personne n’aurait voulu toucher, et qui, portant la marque d’une souillure indélébile, ne pouvaient appartenir qu’à des cagots.

Lorsqu’on pense à la réprobation qui, pendant plus de trois siècles, pesa sur ces maudits, quand on songe aux lois et aux coutumes qui secondèrent la haine dont ces parias étaient l’objet, en ne doit pas être surpris des actes de férocité que, dans leur désespoir et leur vengeance, ces malheureux commirent à l’égard de leurs oppresseurs. Il y a cent ans environ, par exemple, que les cagots de Rehouilles (Basses-Pyrénées) se levèrent en masse contre les habitants de Lourdes, les battirent à plate couture, en vertu de leur pouvoir magique, dit l’historien du temps, et que, non satisfaits de la victoire, ils égorgèrent les vaincus et se servirent, en guise de boules, de leurs têtes sanglantes pour jouer aux quilles.

À cette époque, la haute magistrature commençait à s’apercevoir de la dureté de l’opinion à l’égard des cagots, et il lui répugnait de la sanctionner par des arrêts sévères ; en conséquence, le parlement de Toulouse décréta que les chefs de l’entreprise dont il s’agit subiraient seuls la peine de mort ; qu’à l’avenir les cagots ne pourraient entrer dans la cité de Lourdes que par la porte Capdet, qu’ils seraient contraints de marcher sous les gouttières, et qu’on ne leur permettrait, sous aucun prétexte, de boire, de manger ou de se reposer dans ladite ville. Si l’un d’eux venait à enfreindre l’une ou l’autre de ces injonctions, le parlement ordonnait qu’à l’instar de Shylock, on enlevât de chaque côté de l’échine du délinquant une tranche de chair