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AUTOUR DU SOFA.

grand triomphe est d’avoir su retenir ma langue ; il aurait eu mauvaise opinion de mon sexe, en dépit de mon écriture, de mon calcul et de ma robe de soie noire, si je lui avais parlé sans qu’il m’eût interrogée d’abord. J’ai donc renfermé dans mon sein plus de choses de sens depuis dix jours, que je n’en ai débité pendant le reste de ma vie ; j’ai été si brève, si brusque, si horriblement ennuyeuse, que je vous réponds que mon procureur me croit digne d’être un homme. Mais il faut, ma chère, que je retourne auprès de lui ; ainsi donc je vous dis au revoir ainsi qu’à la conversation. »

Il est possible que le procureur de milady fût satisfait de miss Galindo ; c’était alors la seule chose dont il ne fût pas mécontent. Je ne sais plus qui nous avait dit que les affaires allaient mal ; toutefois personne dans la maison ne paraissait en douter. Ce n’est qu’après sa mort que nous sentîmes la confiance que nous inspirait le silencieux régisseur.

Lady Ludlow aimait, ainsi que nous l’avons dit, à gouverner ses domaines et à décider les questions qui surgissaient entre elles et ses tenanciers ; mais elle finissait en général par suivre les conseils de M. Horner, qui n’était pas toujours de son avis. Elle commençait par dire clairement sa volonté, et s’empressait de donner les ordres pour que l’on fît ce qu’elle désirait. Si M. Horner approuvait sa manière de voir, il saluait et se mettait en mesure de lui obéir immédiatement. Si au contraire il ne partageait pas l’opinion de Sa Seigneurie, il saluait encore, mais il tardait si longtemps à exécuter les ordres qu’il avait reçus que milady finissait par lui dire : « Eh bien ! M. Horner, qu’avez-vous à m’opposer ? » Car elle comprenait son silence tout aussi bien que s’il eût exprimé son opinion. Par malheur, au moment où l’on était pressé par le besoin d’argent, M. Horner avait perdu sa femme,