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LADY LUDLOW.

avec l’immobilité de la mort ; elle pesait sur notre désespoir, et crispait nos pauvres nerfs, mis au vif par ce coup douloureux.

Même à l’église, à cette église dont mon père avait été le pasteur, bien que les coussins de la chaire fussent voilés de noir et qu’on aperçût quelques humbles signes de deuil parmi les fidèles, rien n’y paraissait changé. Qu’étaient cependant les œuvres de lord Ludlow pour la paroisse d’Hanbury, comparativement à ce que mon père avait fait pour la sienne ?

Il est probable que si j’avais pu voir milady, je n’aurais pas éprouvé cette irritation jalouse ; mais Sa Seigneurie demeurait enfermée dans sa chambre, dont les murailles étaient drapées de noir, y compris les volets ; elle y resta pendant plus d’un mois, n’ayant d’autre lumière que la clarté d’une lampe, et n’admettant auprès d’elle que mistress Adam, dont les soins lui étaient indispensables.

Au bout de quinze jours, mistress Medlicott pénétra dans la chambre funèbre ; elle en revint tout en larmes, et nous dit avec des gestes de désespoir, en un langage mêlé d’allemand, car l’anglais lui faisait défaut, que milady, pâle comme un spectre au milieu de cette pièce funéraire, était assise auprès d’une lampe coiffée d’un abat-jour, et dont la lueur tombait sur la grande Bible de famille ; celle-ci était ouverte, non pas à quelque verset consolant, mais à la page où étaient enregistrés les naissances et les décès des neuf enfants de Sa Seigneurie. Cinq d’entre eux étaient morts au berceau, victimes de la coutume barbare qui interdisait aux mères de nourrir leurs enfants ; les quatre autres avaient grandi, étaient devenus des hommes ; puis Urian avait quitté ce monde, et le comte Ughtred-Mortimer le dernier de tous, venait de mourir.