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CHAPITRE XII.

J’ose à peine avouer le sentiment qui s’empara de mon âme, à l’époque de cet affreux malheur, sentiment qui fut presque aussi fort en moi que le chagrin dont nous étions tous accablés en songeant à notre chère lady Ludlow. Peut-être cela tenait-il à ce que l’esprit s’irrite et s’altère, quand la santé est mauvaise, et jamais la mienne n’avait été moins bonne. Le fait est que je fus horriblement jalouse pour la mémoire de mon père, quand je vis tous les signes de douleur que suscitèrent la mort du comte. Tout le village fut en deuil, toute la paroisse changea ses habitudes, parce que Sa Seigneurie venait de mourir dans un pays éloigné, elle qui n’avait jamais rien fait pour personne de la commune. Mon père avait passé les plus belles années de son existence au milieu de ses paroissiens ; il leur avait été dévoué corps et âme, et n’avait rien eu de plus cher après sa famille, que les membres du troupeau qui lui était confié. Néanmoins, tandis que le son des cloches retombait sur notre cœur, dont il déchirait les blessures, nous entendions les bruits du dehors se mêler à nos sanglots : les charrettes passaient, les affaires suivaient leur cours ; on parlait, on criait dans la rue, on chantait dans le lointain ; la vie active contrastait douloureusement