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AUTOUR DU SOFA.

Je suis la fille d’un pauvre ecclésiastique dont les enfants étaient nombreux. Ma mère était de noble origine ; quand elle voulait maintenir son rang et faire preuve de noblesse parmi les gens avec qui elle était forcée de vivre (de riches manufacturiers démocrates, partisans de la révolution française), elle mettait une paire de manchettes, garnies d’un vieux point d’Angleterre excessivement usé, mais dont tout l’or du monde n’aurait pu acheter le pareil, car le secret de sa fabrication était perdu depuis longtemps. Ces manchettes prouvaient, comme le disait ma mère, que ses ancêtres avaient eu de la naissance, tandis que les grands-pères de ces riches négociants qui la regardaient avec mépris, n’avaient jamais été nés, si toutefois ces vilains avaient eu des grands-pères.

Je ne sais pas si, en dehors de notre famille, quelqu’un a jamais fait attention à ces fameuses manchettes ; tout ce que je peux dire, c’est qu’on nous avait élevés dans un sentiment de vénération pour elles, qu’on nous avait appris à ressentir une juste fierté quand elles ornaient les bras de ma mère, et qu’alors nous relevions la tête comme il convenait aux descendants de la noble dame qui la première avait possédé cette illustre dentelle. Mon père nous disait bien que l’orgueil était un grand péché ; il nous enseignait généralement à pratiquer l’humilité chrétienne, et la seule chose dont il nous fût permis de nous enorgueillir était ces vénérables manchettes ; ma mère se trouvait d’ailleurs si heureuse quand elle avait l’occasion de les porter, souvent hélas ! avec une robe de velours dont on voyait la corde, que même aujourd’hui, après la triste expérience que m’ont laissée les années, je les considère toujours comme un bienfait pour la famille. Vous pensez que je m’égare et que nous voilà bien loin du sujet de mon histoire ; pas du tout : Ursule Hanbury, l’honorable dame à qui les manchettes avaient appartenu d’abord, était à