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AUTOUR DU SOFA.

empêchaient qu’il ne s’y mêlât un sentiment plus affectueux ; et le seul individu, je le répète, qui, depuis la mort de mistress Horner, inspirât de la tendresse au régisseur, était ce petit Gregsone au regard brillant et attentif, aux cheveux ébouriffés qui lui retombaient sur le front et qui le faisaient ressembler à certains barbets mal peignés et farouches, mais aussi dévoués qu’intelligents. Ce gars inculte, mi-braconnier, mi-bohème, ainsi que chacun se plaisait à le dire, ne quittait pas le silencieux et respectable M. Horner, qu’il suivait partout avec la fidélité passionnée du chien auquel il ressemblait. J’imagine que c’était cette preuve d’attachement à sa personne qui d’abord avait disposé l’intendant en faveur de son protégé ; mais je ne crois pas que M. Horner eût jamais éprouvé l’amour qu’il ressentait pour Henry, si l’enfant n’avait joint à sa profonde affection une intelligence et une perspicacité peu communes.

Le régisseur n’était pas moins silencieux avec le petit Gregsone qu’avec les autres ; et par cela même il lui était bien doux de se sentir compris immédiatement, sans qu’il eût besoin de parler ; de voir les miettes de science qu’il laissait tomber, souvent au hasard, recueillies par son petit compagnon, qui en faisait un trésor ; de trouver sans cesse auprès de lui une âme ardente, pleine de haine pour les personnes qu’il n’aimait pas, et d’admiration chaleureuse pour celles qui lui inspiraient de l’estime ou du respect. Il n’avait jamais eu d’enfants, et l’amour paternel s’était développé dans son cœur depuis qu’il s’occupait d’Henry. Vous vous rappelez que son rêve était de l’avoir pour secrétaire, afin de lui laisser un jour son poste d’intendant. Aussi la disgrâce où tomba le pauvre Gregsone, à propos de la lettre qu’il avait lue, avait-elle été pour M. Horner un coup plus douloureux que sa froideur ne permettait de le supposer.