Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/166

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
162
AUTOUR DU SOFA.

gner les choses les plus indispensables. J’ai essayé de les faire venir chez moi : les pièces y sont trop petites. J’ai voulu prendre à bail un coin de terre pour y bâtir une école à mes frais : le procureur de Votre Seigneurie est venu me signifier je ne sais quel droit féodal, qui ne permet pas de construire sur les terrains de la commune sans la permission du châtelain ; et c’est vous aujourd’hui qui possédez le château. Je ne dis pas que le procureur ait eu tort ; mais c’est une chose cruelle, et qui n’aurait pas eu lieu, si Votre Seigneurie avait connu la situation morale de mes pauvres paroissiens. Que dois-je faire, milady ? je vous le demande ! Vous me conseillez le repos ! m’est-il possible quand les enfants dont le salut m’est confié vivant dans la crasse et l’ignorance, deviennent cruels et blasphémateurs ? On sait dans le village que Votre Seigneurie désapprouve mes efforts et s’oppose à mes plans. Si vous les trouvez mauvais, mal conçus, mal élaborés, — ce qui est bien possible, j’ai si peu d’expérience, — que Votre Seigneurie m’en propose de meilleurs pour arriver à mon but ; mais qu’elle ne me dise pas de me reposer, tandis que Satan dérobe autour de moi les âmes que je devrais conduire au Seigneur.

— Il est possible, mon cher monsieur, qu’il y ait quelque chose de vrai dans tout cela, répondit lady Ludlow ; je suis disposée à le reconnaître, bien que dans votre état de santé vous exagériez énormément la situation qui vous afflige ; mais l’expérience que m’a fait acquérir une vie assez longue m’a démontré combien il est dangereux de répandre l’instruction à tort et à travers. Elle rend les classes inférieures incapables de remplir leurs devoirs, de se soumettre à l’autorité, de se contenter du sort qu’il a plu à Dieu de leur assigner en ce monde, et de se plier d’eux-mêmes, avec humilité et respect, aux volontés de leurs supérieurs. J’ai déjà exprimé