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AUTOUR DU SOFA.

desservant le déjeuner, c’est-à-dire en éloignant de ses maîtres les grossiers ustensiles dont il s’était servi, le brave homme se rapprocha de l’inconnu ; celui-ci l’interpella :

« Jacques, lui dit-il, c’est vous qu’on nomme ainsi, n’est-ce pas ? Vous avez été mis en prison comme servant un aristocrate. Je vous donnerai le moyen de fuir, si vous voulez ; faites seulement comprendre à votre maîtresse qu’elle mourra demain ; qu’ils mettront son cou si délicat et si blanc sous le couteau de la guillotine ; oh ! mon Dieu ! Dites-lui, bon vieillard, que la vie est douce, que je peux l’empêcher de mourir, et que je ne lui demanderai pas autre chose que de la voir de temps en temps. Elle est si jeune, la mort est si affreuse ! Pourquoi donc me hait-elle ? je ne lui ai jamais fait de mal, et je ne pense qu’à la sauver ; demain il serait trop tard ; priez la bien de m’entendre. »

Jacques ne voyait aucun mal à se faire l’interprète de l’étranger ; Clément écouta ses paroles en regardant Virginie avec tendresse.

« Pourquoi ne pas accepter ? lui dit-il ; vous pouvez, je crois, avoir confiance en lui, et votre situation ne sera pas plus mauvaise qu’elle ne l’était il y a quelques jours.

— Pas plus mauvaise quand je vous aurai perdu, » répondit la jeune fille d’un ton de reproche. « Demandez à cet homme, reprit-elle tout-à-coup en s’adressant à Jacques, s’il peut sauver M. de Courcy en même temps que moi. Nous fuirons en Angleterre, Clément, nous sommes jeunes ; oh ! oui, la vie est douce, » ajouta-t-elle en se cachant la figure sur l’épaule de son ami.

Jacques transmit la question de sa maîtresse à l’inconnu. Celui-ci, dont les yeux étaient fixés sur les deux