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AUTOUR DU SOFA.

voix basse ; on aurait dit, à les voir, qu’ils se retrouvaient au milieu d’une fête, ou dans les jardins de Versailles, tout inondés de soleil.

Clément avait le bras en écharpe ; Virginie avait organisé tout ce qu’il fallait pour qu’on pansât le blessé ; elle avait fait des bandes, s’était procuré deux morceaux de latte qui avaient servi d’attelles ; un de leurs compagnons d’infortune, quelque peu chirurgien, s’était chargé de l’opération ; et les revoyant si heureux, le vieillard, qui se réveillait triste et fatigué, supposa qu’ils allaient sortir de prison ; hélas ! on ne quittait l’Abbaye que pour marcher au supplice ; les deux cousins ne l’ignoraient pas ; mais ils étaient ensemble, ils s’aimaient, et avaient fini par le comprendre.

Deux jours s’écoulèrent ainsi ; tous les matins on appelait devant le tribunal un certain nombre de prisonniers qui ne reparaissaient plus. Chacun devenait grave quand approchait l’heure de l’appel ; les victimes partaient sans proférer une plainte, un morne silence régnait dans la salle pendant quelques instants, puis les conversations, même les divertissements, reprenaient leur cours. La nature humaine ne supporte pas la pression d’une pareille inquiétude sans s’efforcer de réagir contre la douleur qui en résulte. Clément et Virginie se distrayaient en parlant du passé. « Vous souvient-il ? » disait l’un ; « Vous rappelez-vous ? » disait l’autre ; et tout entiers à leur amour, ils oubliaient le présent et ne voyaient pas l’avenir. Jacques y pensait pour eux, et tremblait chaque matin d’entendre leur nom sortir de la bouche de l’huissier.

Le troisième jour de leur incarcération un homme fut introduit dans la salle, en qualité de visiteur ; c’était sans doute un ami du geôlier, car celui-ci causa longtemps avec le nouveau venu. M. et Mlle de Courcy déjeu-