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soir, assiégé, ouvraient sur le trottoir leurs portes rondes et basses par où s’exhalait, sur la chaussée, un air empuanti et chaud, lourd d’alcool et de culots de pipes.

Le soleil couchant dorait la chaussée d’une lumière tiède, déjà affaiblie ; l’assoupissement des rumeurs de la rue, par cette fin d’une journée de travail, coïncidait avec l’apaisement du jour ; c’était une sorte de trêve, une préparation à la vie nocturne ; le gaz rouge, le pétrole jaune, l’électricité lunaire allaient remplacer le soleil.

Il faisait bon vivre, une mansuétude tombait du calme ciel ; l’heure était indulgente et tendre ; c’était un intervalle de détente, où chantait la mélopée paisible et lente des crieurs annonçant les journaux du soir.

Et Charles songea à une vie nouvelle, une vie de repos bourgeois, à l’abri des fièvres, à l’abri des misères déjà souffertes.

Il entra dans la pièce qui regardait les cours du quartier. Le ciel, dans plus d’espace, étalait les féériques nuages que le crépuscule incendiait. Sur un damier de petits jardins aux gazons maigres, enclos de murs irréguliers, des marronniers arrondissaient, en boule, de grosses têtes feuillues ; ici, c’était une douceur un peu triste, parce qu’il y avait plus de silence et d’immobilité.