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jamais entendu parler. Il vit Rose passer sur la tablette du comptoir sa dextre disposée en cornet, la promener en rasette, balayer en tas et ensacher les déchets des divers tabacs que les précédentes pesées avaient laissés autour des balances.

— Une chic machoufelke, ça Madame est tout de même, est-ça pas ? dit, en clignant de l’œil, le cordonnier à Charles, tandis que Rose, habituée à la familarité rude de pareils compliments, fermait, en souriant paisiblement, le sac de « fleur de comptoir ».

Comme le cordonnier s’en allait, joyeux de vivre, la porte de l’arrière-pièce s’ouvrit et montra Odon Flagothier : bien découplé, la charpente forte, l’air gai, l’œil bleu bien ouvert, la bouche goguenarde. Ses mains, enduites d’une couche de sirop d’un brun noirâtre, répandaient une odeur balsamique ; ses reins étaient ceints d’un tablier bleu. Odon Flagothier semblait ravi d’être ainsi surpris dans l’exercice de ses fonctions de cuisinier en boudins de tabac ; il tirait vanité de son art à saucer les rolles ; il prétendait posséder un secret qu’un bossu lui avait transmis à son lit de mort ; il disait cela d’un air mystérieux, d’un air de confidence, sans qu’on sût s’il se moquait. Ses rolles avaient une renommée dans le monde des chiqueurs : il possédait une clientèle unique de façadeklachers, de militaires et de garde-ville.