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six semaines dans un phare.

— Laisse donc, petit. Je vas leur donner une leçon.

Le fameux jour arriva. Le ponton avait un air de fête, toute la haute société de Plymouth, à laquelle le capitaine appartenait, s’était donné rendez-vous ; aussi, avait-on préparé des bancs, comme pour un spectacle. Je tremblais comme un enfant. Robert était gai comme un pinson. Les deux champions furent mis en présence, et j’avoue, à notre honte, que je compris les sourires de pitié des Anglais quand ils virent ce petit Breton en face de ce nègre colossal.

Robert était déjà en garde pour esquiver les coups. J’étais son témoin, son parrain comme ils disaient, et le capitaine m’avait confié sa montre pour compter le temps que durerait la lutte. Il paraît que chaque fois que Robert serait terrassé d’un coup de poing, il ne devait pas rester plus de cinq minutes sans se relever, sinon la partie était perdue pour lui. Petit Blanc ricanait et semblait dire à son maître :

— Je ne l’assommerai qu’au dixième.

Mais il restait une dernière formalité à accomplir. Les combattants devaient se donner et se serrer la main en guise d’amitié. Le nègre s’avança en se dandinant d’un air superbe et dédaigneux, puis se plaçant en face du Breton dans une pose d’hercule de foire, qui lui permit de développer son torse, il étendit son bras.

— Serrez ma main avec respect, dit-il, elle a déjà assommé et tué plusieurs Français.

Cette injure grossière souleva des cris enthousiastes chez les Anglais et des cris de fureur parmi les prisonniers. Robert ne riait plus. Il n’avait pas bien compris, et je dus lui répéter ce que le nègre avait dit.

Ah ! si vous l’aviez vu ! Sa figure si douce et si riante se contracta comme le mufle d’un tigre. Ses lèvres se relevèrent en laissant voir ses dents serrées par la rage, ses yeux injectés de