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récit de chasse-marée.

conformation, et d’une force d’hercule. Jamais je n’avais vu une tête aussi grosse, des yeux plus féroces, et des mains aussi énormes que les siennes. Son maître s’en servait pour les combats de boxe, comme on se sert en Angleterre d’un cheval ou d’un coq, et il lui faisait gagner des sommes énormes. Chaque fois que cet officier venait à bord voir son collègue, le commandant de notre ponton, ce nègre l’accompagnait, et Dieu sait que de colère ses regards effrontés, ses haussements d’épaules et ses injures avaient amassée contre lui. Depuis longtemps son maître cherchait une occasion de le faire boxer avec ces chiens de Français, mais il n’en avait pas encore rencontré un digne de soutenir la lutte. L’affiche de Robert lui donna l’idée de faire donner une leçon au Français par son domestique, mais il changea l’ordre des choses, c’était Robert qui devait donner dix coups de poing contre un seul donné par le nègre. Robert refusa et maintint sa proclamation, mais lui aussi, y fit un petit changement.

— Le nègre donne à moi dix coups de poing, avant moi en donner un. Libre à moi de ne pas recevoir coups de poing du nègre. Lui attrape moi s’il peut.

C’est du langage à la nègre, ajouta Robert, il comprendra mieux.

Je commençais à être inquiet de l’issue de cette lutte et j’espérais qu’elle n’aurait pas lieu. Je me trompais. Les Anglais en firent une représentation officielle, et, pour que Robert ne pût s’en dédire, on lui versa d’avance deux livres, lui en promettant vingt autres pour ses héritiers s’il était tué ou pour lui s’il était vainqueur. Robert était aux anges.

— Un seul coup de tête et je lui démolis la carène, criait-il.

Moi, je fis tout mon possible pour lui faire abandonner non-seulement son projet Mais encore le ponton, car tout était prêt pour notre évasion. Il n’y voulut pas consentir.