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six semaines dans un phare.

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Mourir ! l’Hermite ne le voulait pas.

— Amène les embarcations ! tout l’équipage à terre ! ne craignez rien, enfants, la Preneuse ne tombera pas dans des mains anglaises. Je reste seul à bord pour incendier la frégate.

— Partir, quand les boulets et la mitraille pleuvent sur nous, jamais, s’écrient les officiers, et l’équipage y répond en n’obéissant pas pour la première fois à son capitaine. Les blessés sont mis à l’abri, mais tout ce qui est valide reste là et attend. Alors L’Hermite est vaincu par l’émotion. Depuis longtemps la fièvre le minait, et il n’avait trouvé des forces que dans le désir de se venger et de combattre ; mais quand, à bout d’efforts, il vit que son navire était définitivement perdu avec tout son équipage, cet homme de fer pâlit, ferma les yeux et tomba évanoui.

Le lieutenant résolut au moins de sauver le capitaine, mais l’inclinaison de la carène du navire était telle qu’il nous fut impossible de le transporter dans une embarcation. On fait accoster la yole, par la hanche de tribord sous le feu de l’ennemi. Efforts impuissants ! la yole mitraillée par le feu des vaisseaux coule à pic entraînant dans ses débris sanglants les hommes qui la montent.

L’Hermite est étendu entre le banc de quart et le tillac. Le lieutenant agenouillé lui tient la tête. Ses officiers l’entourent. L’équipage, muet de désespoir, fixe ardemment les yeux sur ces vaisseaux qui lui envoient la mort et auxquels il ne peut répondre. Le vide se fait autour du capitaine. L’officier qui le tenait se lève brusquement et retombe baigné de sang. Un biscaïen lui a troué la poitrine. En retombant il tend les bras au capitaine, l’attire à lui et l’embrasse au front. Ce baiser éveilla L’Hermite. En voyant le ravage que la mort avait fait autour de lui, il sourit amèrement, et se levant avec effort :

— Messieurs, pardon ! c’est moi qui suis cause de ce désastre, dit-il. Voici mes derniers ordres. Qu’ils soient exécutés sur-le-