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récit de chasse-marée.

chenal, cela raccourcira le chemin, en nous éloignant du port. Le chenal est peu fréquenté par les vaisseaux de haut bord, mais je n’y connais pas d’écueil.

Cette manœuvre était hardie, mais avec L’Hermite on obéissait, on ne discutait pas. Chaque homme gagne sa place de service. Un grand silence règne à bord. Enfin nous poussons un cri de joie, la frégate vient de franchir la passe en gagnant une lieue sur l’ennemi. Encore deux heures de bon vent, et nous pourrons jeter l’ancre au mouillage à bout de bordée. Mais la brise, jusque-là vive et régulière, s’éteint complètement et nous livre aux chances périlleuses d’un calme plat. La marée qui monte nous drosse vers le rivage, dont le fond est plein d’un corail tranchant qui coupe nos câbles. Dans ce cas, nous sommes sûrs, si le calme plat continue, d’échouer à la côte et de tomber dans les mains des Anglais. Retenus eux-mêmes par le calme, ils n’attendent que le vent pour venir profiter de leur trop facile conquête. Triste alternative, le combat vaut mieux.

Le capitaine L’Hermite a charge d’âmes ; il ne veut pas exposer la vie de son équipage avant d’avoir épuisé tous les moyens de retraite. Sur son ordre, on prend bâbord-amure, et on court au large pour revirer ensuite vers le port. Les voiles mises en ralingue derrière poussent le navire vers la terre, mais, malgré toutes les précautions, la Preneuse est trop près de la côte. À peine les voiles sont-elles boulinées, qu’un froissement subit de la quille, suivi de ce cri : Nous touchons ! vient renverser toutes nos espérances. Les coups de talon que donne la frégate se succèdent et font vibrer la mâture. L’avant du navire tourne vers la terre. Sa marche est arrêtée.

L’Hermite, pâle mais tranquille, fait serrer les voiles et mettre les embarcations à la mer pour mouiller au large une ancre de bossoir. Il voulait forcer la frégate à présenter son travers au large de manière qu’elle pût se défendre. Tous les objets du bord