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récit de chasse-marée.

Et la frégate venant du lof met le cap sur le travers de son ennemi. Le feu de la mousqueterie commence. Les deux navires sont prêts de se heurter. Les Anglais tuent nos gens placés à découvert sur les gaillards. Nos matelots, l’œil flamboyant, maudissent la distance qui les sépare des Anglais. Hélas ! la Preneuse trahie par sa marche, au lieu d’atteindre avec sa poulaine l’embelle de son ennemi pour l’aborder favorablement, touche seulement son couronnement du bout de son beaupré. Le Jupiter (c’est alors qu’on découvre le nom du vaisseau anglais) nous dépasse de l’avant ! Plus d’espoir d’en venir à l’arme blanche !

— Envoyez-lui la volée en poupe. Pointez son gouvernail et ne tirez qu’à coup sûr, crie L’Hermite aux canonniers.

L’abordage n’a pas lieu, et cependant au bruit des tambours, aux rugissements de nos matelots cloués sur le pont par les longues piques des Anglais, on croirait les deux navires aux prises. Tout à coup un horrible craquement domine le tumulte de la bataille. C’est notre boute-hors de clinfoc qui se rompt contre la dunette du Jupiter et qui tombe à la mer avec sa voile. Malgré cette avarie la Preneuse, continuant sa course, lâche d’enfilade et à bout portant sa volée dans l’arrière du vaisseau. L’effet est immense. Elle massacre les équipages du Jupiter, le désempare de son gouvernail et de ses voiles, mutile et disperse la sculpture de la poupe et fait voler en éclats ses yoles élégantes !

La Preneuse alors, profitant de l’état d’immobilité dans lequel notre terrible canonnade a mis le Jupiter en le désemparant de ses huniers, lui lâche une seconde volée en poupe qui réussit aussi bien que la première.

Les avaries du vaisseau anglais, quoique considérables, sont bientôt réparées, et le feu recommence avec une violence effrénée. Nos voiles se déchirent, nos vergues se brisent, nos mâts volent en éclats, les morts encombrent le tillac, et le cri des bles-