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récit de chasse-marée.

À ce moment la tempête redoubla de violence. Vingt fois, des vagues énormes nous rapprochèrent à une si petite distance de l’ennemi, que nous crûmes à un abordage. Si nos prévisions se fussent réalisées, notre perte et la sienne étaient certaines, pas un seul homme n’eût survécu à la catastrophe. Enfin L’Hermite profita d’un moment d’éclaircie pour opérer la reconnaissance.

— Hissez notre numéro, dit-il.

À peine notre numéro était-il monté à la corne qu’une détonation retentit. C’était le vaisseau ennemi qui assurait ses couleurs anglaises. Les deux commandants prononcèrent le mot : Feu ! en même temps. Les deux bordées éclatèrent comme un coup de tonnerre, et bien que nous eussions tiré du côté du vent, la mer embarqua à pleins sabords. Il nous était déjà impossible de continuer l’action de la batterie. La fatalité s’acharnait après nous.

Pour surcroît d’ennui, les blessures mal bouchées de la carène, malheureux souvenir du combat de Lagoa, laissaient pénétrer l’eau dans la cale, et quatre pompes suffisaient à peine à l’étancher. Encore fallait-il des hommes pour les mettre en mouvement.

Le capitaine commanda alors froidement une manœuvre qui nous mit bientôt hors de portée de notre adversaire. Cela ressemblait à une fuite. Mais comment aurions-nous fait pour combattre ? Le crépuscule arrivait, l’ombre de la nuit nous entoura bientôt et toutes les longues vues signalèrent que le vaisseau anglais avait disparu. Une fois ceci bien constaté, le capitaine ordonna de laisser arriver vent arrière pour faire fausse route et de paqueter tant bien que mal les voiles au plus vite.

L’équipage prit un peu de repos. Seul l’Hermite souriait en se promenant sur le pont, et je le voyais ne pas perdre un seul détail de la manœuvre, tout en inspectant l’horizon. Chacun était resté à son poste de combat, et quand la lune perçant les