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récit de chasse-marée.

rence, c’est un de nos ennemis qui a pris feu et qu’on remorque au large.

Ce mensonge généreux ramena un peu de confiance, et les travaux nécessaires à notre fuite furent poussés avec vigueur, mais bientôt le doute ne fut plus possible. Le brûlot avançait à vue d’œil, et on distinguait la flamme rouge et ardente qui s’élançait des écoutilles du navire incendiaire. Un quart d’heure lui suffisait pour nous accrocher. L’Hermite, renonçant alors à nous tromper, s’écria d’une voix calme et vibrante pendant que nos canons tiraient toujours avec énergie :

— Range aux drisses des huniers et aux écoutes ! Gabiers de la grande hune, on n’attend plus que vous !

Les malheureux gabiers étaient à moitié asphyxiés.

— Au fait ! rien ne presse, reprit le capitaine en se promenant tranquillement, les mains derrière le dos, ce brûlot passera loin de nous !…

Les gabiers reprirent leur travail avec ardeur.

Cette fuite nous froissait tous, mais il fallait éviter ce maudit brûlot qui était presque bord à bord avec nous. Hésiter eût été un crime.

— Hors, le petit foc ! coupe le câble, borde et hisse les huniers, crie le capitaine.

Aussitôt la frégate, dégagée de ses liens et obéissant à l’impulsion du vent et à ses voiles en lambeaux, glisse et s’échappe sur la pleine mer. À peine quelques minutes s’étaient-elles écoulées depuis l’appareillage, qu’une détonation terrible fit trembler la Preneuse et éclaira d’une immense gerbe de flamme, la scène de carnage que nous quittions avec honneur. C’était le brûlot qui sautait.

Peu après, d’épaisses ténèbres nous enveloppèrent. Nous forçâmes de voiles afin que l’ennemi, au jour naissant, ne pût jouir de la vue des graves avaries que nous avions éprouvées. Quoique