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récit de chasse-marée.

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nous étaient considérables : à tribord nous avions à combattre trois grands baleiniers, à bâbord un vaisseau de la Compagnie des Indes, une corvette à trois mâts et le fortin Anglais, dont les boulets venaient à chaque instant ébranler la coque de notre frégate !

Ce spectacle nous eût découragés en tout autre moment ; avec L’Hermite, personne n’avait peur. Tout le monde avait l’enthousiasme et l’espérance.

Le feu continua jusqu’à minuit avec une ardeur qui, loin de se calmer, semblait au contraire s’accroître. À cette heure-là, le vaisseau de la Compagnie amena, avec ses couleurs, les fanaux qui les éclairaient. C’était notre première victoire, et la possession de ce riche et puissant navire nous récompensait de notre courage.

— Embarquez les yoliers, lieutenant, faites armer vos hommes et allez prendre possession de ce navire qui se rend, s’écria l’Hermite au milieu de nos hourras.

Le feu cessa un instant, mais je ne sais pourquoi ; à certains signaux échangés entre les baleiniers et la corvette, nous pressentîmes une trahison. En effet, à peine la yole était-elle partie que le vaisseau qui avait amené ses couleurs, hissa de nouveau son pavillon et recommença le feu.

La yole revint sans avoir été atteinte. Le capitaine L’Hermite haussa les épaules et cria :

— Courage, enfants, pointez en plein bois, toujours en plein bois ! ce vaisseau est à nous !

Tandis qu’on s’acharnait sur ce vaisseau que foudroyait notre artillerie au bâbord, une sautée en vent permettait à la corvette de se placer en proue de la Preneuse et de l’accabler d’un pointage d’enfilade auquel nous ne pouvions répondre qu’avec nos quatre canons de chasse. Dix fois les batteries du vaisseau se turent, mais dix fois de nombreuses embarcations lui apportèrent de nouveaux combattants et son feu recommença toujours.