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récit de chasse-marée.

nations neutres, ou par les bâtiments ennemis de la France : ce mouillage était protégé par un fortin anglais. Nous l’apprîmes trop tard à nos dépens.

— Faites orienter sous toutes les voiles et gouvernez sur la crête, au pied de laquelle j’aperçois cinq navires à l’ancre, dit le capitaine L’Hermite en s’adressant à l’officier de quart. Voilà peut-être assez de captures pour terminer notre croisière.

Puis il donna des ordres pour déguiser notre navire en navire de commerce. Le changement ne fut pas long à faire : les canons furent halés en dedans, et les sabords de la batterie fermés. Le pavillon Suédois monta à la corne et flotta perfidement, tandis qu’un petit nombre de gabiers serrent et dégréent lentement les perroquets et menues voiles, afin de donner à penser que l’équipage n’est composé que de peu d’hommes. Enfin, à la tombée de la nuit, notre frégate, mouilla en s’embossant aussi près que possible du plus gros des navires, dans la baie de Lagoa.

Notre position ne laissait pas que d’être critique. Ignorant la force des navires qui nous entouraient, sauf le plus rapproché qui nous paraissait d’un très-fort tonnage, nous ne savions pas si nous jouions le rôle d’un vautour guettant la proie, ou celui d’un vautour pris au piége.

Quant au capitaine, voulant d’abord savoir à qui il avait affaire, il annonça qu’il patienterait toute la nuit. Ce délai nous permettait d’attendre la brise du large, ce qui améliorerait notre situation, en nous permettant d’attaquer avec avantage.

Il était nuit noire, rien ne bougeait dans la baie ; seulement à plusieurs reprises des canots silencieux passèrent près de nous sans répondre à nos demandes ou à notre appel. À travers les sabords ennemis on voyait de temps en temps passer des fanaux. Il s’exécutait un mouvement que nous ne pouvions comprendre, mais que L’Hermite devina en faisant placer chacun à son poste de combat.