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la tour de cordouan.

— Il n’y a pas besoin d’être à Royan pour guérir un malade, vous l’avez vu. Nous nous connaissons en blessures. Nous saurons bien aussi vous désennuyer, et puisque vous devez entrer dans la marine, nos récits commenceront votre instruction. Nous causerons, à moments perdus, sans prétentions, sans ligne suivie, au hasard, comme cela nous viendra.

— Si nous commencions tout de suite, dit Paul.

— Ce soir, je commencerai.

Celui qui venait de parler s’appelait Chasse-Marée. C’était le grand papa de La Tour. Ancien marin de l’Empire, légèrement boiteux, il avait bien près de soixante-dix ans. Quand il parlait, on l’écoutait comme un oracle. Il y avait avec lui cinq autres gardiens : le père La  Gloire, dit Courte-Échine, le même qui avait transporté l’Anglaise trop longue ; Cartahut, Provençal qui avait vu la Crimée ; Yvonnec, bas-breton, peu parleur et très-superstitieux ; Rabamor, un hercule comme force, mauvaise tête, ne s’entendant avec personne, méchant, disait Chasse-Marée, parce qu’il ne buvait jamais que de l’eau, ce qui était vrai ; enfin Antenolle, le plus jeune, très-fort sous son apparence délicate, bon nageur, grand pêcheur, mais ayant toujours le mal de mer. C’est pour cela qu’il s’était mis gardien de phare, et encore, quand le vent soufflait trop fort, il était malade.

Voilà quels étaient les hôtes de Paul, chargés de le distraire pendant les longues veillées des jours brumeux d’octobre.

Ce fut, le soir même, le grand papa Chasse-Marée qui commença, sans autre préambule, ces récits que nous voudrions voir charmer nos lecteurs comme ils ont charmé notre jeune blessé. Nous lui laissons la parole.