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six semaines dans un phare.

tenait à l’écart et avec son couteau fouillait les pierres pour y trouver des crabes. Quand il releva la tête et qu’il vit le capitaine seul :

— Où est le petit ? cria-t-il.

— Il pêche !

— Et il vous a laissé son fusil ? oh ! là ! là ! vous avez l’air d’un requin qui a trouvé une lunette d’approche.

— Dirait-on pas que c’est la première fois que je touche un fusil ?

— Oh ! vous n’en avez pas touché souvent dans votre vie ? dit Clinfoc en s’approchant.

— Avec ça !

— Vous êtes bien aussi adroit que le petit, je parie.

— Tu paries ? Eh ! bien, moi, je vais te prouver qu’un capitaine au long cours sait tirer comme un gabier d’infanterie. Le premier goëland qui passe, gare à lui.

— Oh ! ne tirez pas, vous lui feriez peur, à ce pauvre oiseau, tenez en voici un.

— Justement. Tiens ! regarde !…

Et piqué au jeu, l’oncle vise un goëland, le suit un instant dans son vol et fait feu. Un cri d’effroi des gardiens qui étaient sur la plate-forme, un gémissement y répondent. Les deux vieillards restent attérés, mais soudain Clinfoc, retrouvant sa vigueur, part comme une flèche et roule plutôt qu’il n’arrive auprès de Paul, étendu sans connaissance derrière une grosse roche.

Voici ce qui s’était passé. Le jeune homme, courbé en deux, fouillait les pierres pour en déloger les crabes. Au moment où son oncle, qui ne le voyait pas et le croyait plus loin, lâchait la détente, il se relevait et se trouvait entre le fusil et l’oiseau visé. Il reçut la charge entière dans la cuisse et tomba en poussant le cri de douleur qui fit accourir le vieux matelot. Le capitaine devina plutôt qu’il ne vit l’accident. Ses jambes tremblantes lui