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la vie dans les phares.

sans cesse. Il lui semblait que c’était encore la voix de l’Écossais.

Heureusement que ce jour-là, on put débarquer, et la chaloupe apportant des provisions amena avec elle deux matelots et l’inspecteur du phare. Ce dernier fit des reproches au gardien de s’être endormi pendant sa veillée, lui infligea une forte punition et lui demanda où était l’Écossais.

— Mort, dans la lanterne, répondit-il sans lever les yeux.

En voyant sa prostration, sa pâleur, son air hébété, chacun crut à un crime. On monta dans la lanterne et on trouva le corps de l’Écossais. Une enquête s’en suivit, mais le gardien fut bien vite reconnu innocent et révoqué pour sa négligence.

Aujourd’hui il est fou, et, dans sa folie, il raconte ce qui s’est passé et que personne ne veut croire. En effet, dans cette nuit, on avait vu briller un fanal dans l’ombre. Ce fanal qu’on avait pris pour la lumière du phare n’était autre que celui du navire échoué sur le roc d’Eddystone.

Vous voyez, monsieur Paul, quel mal nous pouvons faire aux vaisseaux par notre négligence. Jugez par là des services que nous pouvons leur rendre.

Paul serra la main de tous ces braves gens avec beaucoup d’émotion. Il voulait leur parler mais ne trouvait rien à leur dire.

Les gardiens eux aussi étaient très-émus. Ils aimaient Paul et s’étaient habitués à lui, puis ils le remerciaient tout bas de leur avoir fait parcourir cette mer qu’ils avaient quittée à regret, d’avoir réveillé des souvenirs toujours chers à ceux qui vivent du passé, de leur avoir procuré enfin de bonnes soirées, si monotones quand ils sont livrés à eux-mêmes.

Chacun était triste. Paul devait partir le lendemain, et cette soirée étant la dernière, on eût voulu la prolonger par de nouveaux récits, mais personne ne songeait à parler. On se sépara