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six semaines dans un phare.

un verre de grog. L’Écossais avait le sommeil très-léger ; il l’entendit et se leva avec effroi :

— Qu’y a-t-il ? La lampe est éteinte !

— Mais non, j’ai soif et je viens chercher à boire !

— Quoi, vous osez ?…

Et le vieux se précipita dans l’escalier pour aller reprendre le poste abandonné. L’Anglais, — je l’appelle ainsi puisque l’autre était Écossais, — fit son grog, alluma sa pipe, fit aller sa boîte à musique et remonta sans se presser. L’Écossais ne bougea pas ; mais sur l’assurance du nouveau gardien qu’il n’abandonnerait plus son poste, il alla se recoucher.

L’Anglais s’arrangea dans son fauteuil et s’endormit pour ne se réveiller qu’au jour.

L’Écossais lui tint ce langage :

— Jeune homme, vous avez navigué. Vous savez qu’on ne doit pas quitter son poste, quand on est de quart. Un phare est un vaisseau. Il n’est pas exposé à la tempête, c’est vrai ; mais, si le phare se dérangeait et cessait d’avertir les marins, que deviendraient les hommes qui comptent sur sa lumière pour les guider sur les flots ? Si, par votre négligence, un navire se perdait sur les rochers qui nous entourent, la mort de chaque homme pourrait nous être imputée à crime. Nous serions des assassins, des meurtriers…

L’Anglais haussa les épaules et lui tourna le dos.

Je ne vous raconterai pas la vie de ce malheureux jeune homme. Il en vint, comme je vous l’ai fait pressentir, à regretter son vaisseau. J’arrive au fait capital, afin de bien vous démontrer le mal que peut faire la négligence d’un gardien de phare.

L’Anglais s’endormait toutes les nuits dans la lanterne. Le vieillard le surprit et lui fit de nouveaux reproches. Il lui raconta même l’histoire d’un malheureux gardien, qui s’étant en-