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la vie dans les phares.

dans ma jeunesse à qui il est arrivé un accident étrange. La mer enleva la calotte de la lanterne. L’eau entra et éteignit les lampes. Il fallut beaucoup de travail et encore plus de présence d’esprit pour la repousser. C’est du reste un lieu terrible. Le phare est construit sur une caverne ouverte par une longue crevasse à l’extrémité du rocher. Quand la mer est mauvaise, le bruit produit par le vent dans cette caverne est si violent que les hommes ne peuvent dormir. L’un d’eux fut frappé d’une telle frayeur que ses cheveux blanchirent en une nuit.

Un jour, c’est plus récent, deux drapeaux noirs flottèrent en haut du phare. C’était un signal de détresse. Des trois gardiens du phare, celui qui était de garde venait de s’ouvrir la poitrine avec un couteau. Ses compagnons avaient essayé d’étancher le sang avec de l’étoupe, mais sans y parvenir. Trois jours se passèrent sans qu’on pût leur porter secours. La mer était si rude et le débarquement si dangereux qu’on fut obligé de lancer le blessé au bout d’une corde dans un bateau venu à leur appel. Le blessé mourut quelque temps après. On constata qu’il s’était frappé dans un moment d’aliénation mentale. Le vertige de l’abîme monte à la tête des gens faibles.

En France, nous avons rarement d’exemples de folie. Nous savons prendre notre mal en riant, mais l’Anglais est trop sérieux !… Non, vrai, cela vous fait sourire. C’est, comment appelez-vous ça ? un paradoxe, je crois. Eh bien, franchement, c’est la vérité.

Ce qui ajoute aux horreurs de cet emprisonnement au milieu des flots est de vivre avec des gens dont les goûts et les humeurs ne s’accordent pas toujours. Oh ! je ne parle pas pour nous ! D’abord ici, il y a la discipline. Mais quand on n’est que deux, par exemple, c’est bien plus difficile. Ainsi, je prends un des plus beaux phares d’Angleterre, celui d’Eddystone, en face de Plymouth. Ils ne sont que deux là-dedans. Jamais ils n’ont pu s’ac-