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la junon.

qu’il nous serait impossible de guider ce qui restait de notre navire vers un port.

— Enfin, dis-je, peu importe si cette terre est la fin de nos malheurs.

Le lendemain, en nous éveillant, il me fallut une grande force de volonté pour m’arracher à la position commode où je me trouvais et me retourner du côté où on avait entrevu la terre. C’était bien en effet les côtes qui se dessinaient sur l’azur du ciel. Mais à quel pays appartenaient-elles ? Nul ne le savait.

L’espérance me revint pourtant. Il était impossible que Dieu eût permis que nous souffrissions si longtemps, pour mettre, au moment où il nous rendait l’espoir, la mort à la fin de ces souffrances.

Le vent était favorable et nous poussait vers la terre ; mais plus on approchait, plus cette côte nous semblait déserte. La nuit vint, — encore une nuit ! — Chacun prit ses arrangements pour bien dormir, mais l’inquiétude était si grande que personne ne ferma l’œil. Un peu avant le lever du soleil, on ressentit un choc violent. Le vaisseau venait de toucher un rocher.

Nous attendîmes en silence. La Junon éprouvait secousses sur secousses. Les mâts de misaine et d’artimon en étaient ébranlés et, ne pouvant nous tenir debout, nous fûmes obligés de nous coucher et de nous cramponner aux traverses. La mer baissa. Notre pont sortit peu à peu de l’eau, et ce qui en restait demeura à nu.

Alors on essaya de descendre sur le pont. Une grande affaire ! Jugez de l’état où vingt jours de famine nous avaient mis ! Cependant on réussit et nous pûmes même commencer à descendre la pauvre dame du capitaine ; mais, les forces nous manquant, nous fûmes obligés de l’abandonner. Les Lascars, qui étaient les moins abattus, s’offrirent pour achever cette besogne délicate ; mais, comme ils savaient qu’elle avait de l’argent,