Page:Garnier - Six semaines dans un phare, 1862.djvu/384

Cette page a été validée par deux contributeurs.
374
six semaines dans un phare.

Je saisis les lisses de l’arrière et je gagne avec elle les haubans d’artimon, où nous rejoint le capitaine.

Pendant ce temps, l’équipage s’est accroché à tout ce qu’il trouve sous sa main. Au moment où nous nous cramponnions à notre refuge, l’air comprimé dans la coque du navire fait éclater le pont, comme un coup de tonnerre. Le navire s’enfonce lentement et les malheureux réfugiés dans les cordages montent au fur et à mesure qu’il descend.

La hune d’artimon où je m’installe avec le capitaine et sa femme est bientôt pleine. Le reste de l’équipage s’accroche aux manœuvres du même mât. Un seul matelot a pu gagner la hune de misaine. C’est dans cette position que nous attendons ce que Dieu va décider de nous.

Nous passâmes ainsi notre première nuit. Quoiqu’on fût au mois de juillet, la brise était glacée. Je donnai ma veste à la femme du capitaine pour qu’elle pût envelopper son corps frissonnant. Puis la fatigue était telle, que presque tous nous nous endormîmes. Ce sommeil fut fatal à bien des hommes. Au jour il en manquait une dizaine à l’appel qui étaient tombés à la mer.

La situation était terrible. Le vent soufflait avec violence. La mer s’élevait à une hauteur prodigieuse, le pont et les parties supérieures du navire se disloquaient. Enfin les manœuvres, où s’accrochaient quarante naufragés, semblaient prêtes à chaque instant de céder. À partir de ce moment, les uns se laissèrent emporter par la vague, les autres furent violemment arrachés à leur refuge ; chaque heure était marquée par la mort.

Et le navire marchait toujours poussé par la tempête.

Jusqu’à ce moment, à l’aspect du gouffre sur lequel nous étions suspendus, au spectacle de ceux qui y tombaient, au désespoir de ne pas voir une seule voile à l’horizon, nul de nous n’avait songé à la faim ; mais dès que le vent se calma et qu’on put concevoir l’espérance que le mât se soutiendrait hors de